Professeur, éducateur, parent, … vous avez peut-être déjà entendu le terme de « pédagogie active » au cours de vos études, lectures ou conversations. De manière générale, on parle de « pédagogie active », dans le sens où l’apprenant est en position « active ». Les pédagogies actives sont fondées en effet sur le principe pédagogique suivant : l’apprenant est acteur de ses apprentissages ; il découvre et construit ses savoirs à travers des situations concrètes de jeu, de recherches personnelles et collectives. En anglais, « active learning » illustre mieux l’action de l’apprenant dans la démarche d’apprentissage. Faudrait-il donc parler en français d’apprentissage actif ?
En partageant ces premiers éléments de définition, nous découvrons qu’il s’agit donc d’un concept assez large ; sans chercher à tracer des oppositions, les méthodes actives se positionnent en particulier par rapport à un enseignement plus « transmissif ». Dans le contexte actuel, où chaque individu se retrouve face à une quantité immense d’informations « brutes » disponibles, un flot continu de données, plus ou moins subi, et doit savoir prendre des décisions rapidement, dans un contexte complexe et évolutif, les méthodes actives semblent être particulièrement pertinentes.
Les chercheurs en sciences cognitives ont mis en évidence l’aspect constructif de l’apprentissage : c’est en construisant la connaissance soi-même, notamment en l’articulant avec d’autres concepts déjà acquis, qu’on apprend le mieux. Il est également montré qu’une dynamique positive d’apprentissage se met en place grâce à une plus grande interaction entre les apprenants : les pédagogies actives font en général une part importante à cette démarche collective. Il n’y a bien sûr pas une méthode pédagogique parfaite et adaptée à chaque enseignant et à chaque apprenant, mais les différentes approches doivent savoir se combiner en fonction des publics et des sujets.
Dans ce court article, nous nous intéresserons uniquement aux pédagogies ou méthodes actives dans le domaine de l’enseignement musical général – nous n’aborderons pas les méthodes actives d’apprentissage de l’instrument (par exemple la méthode Suzuki pour l’apprentissage du violon). Ces pédagogies de la musique sont « actives » à plus d’un titre : non seulement par le positionnement d’apprentissage de l’élève, mais aussi parce qu’elles donnent toutes une place importante au corps et au mouvement, dans l’apprentissage de la musique.
Les principales méthodes actives d’apprentissage de la musique ont apparu entre les deux guerres mondiales (tout en signalant le travail précurseur de la pédagogue musicale française Marie Jaëll). Ces nouvelles formes de pédagogie de la musique doivent en grande partie leur naissance à un mouvement de recherche pédagogique important à cette époque, marqué notamment par Maria Montessori (l’éducation n’est pas qu’une transmission de savoirs, mais l’accompagnement du développement naturel de l’enfant) ou, plus tard, Célestin Freinet, qui insiste sur l’expression libre des enfants et sur le travail de groupe.
Ces intuitions pédagogiques sont accueillies, intégrées et développées par des pédagogues de la musique. Il est notamment permis de signaler :
- Maurice Martenot et ses sœurs Madeleine et Ginette (France),
- Carl Orff, qui développa le « Orff-Shulwerk » (atelier scolaire) en collaboration avec des gymnastes et danseurs (Allemagne) ;
- Emile Jaques-Dalcroze (Suisse) ;
- Zoltan Kodaly (Hongrie)
- Edgar Willems (Belgique-Suisse).
La pédagogie musicale Carl Orff n’est pas une méthode au sens strict, mais plutôt un corpus d’orientations pédagogiques dont le but premier est de favoriser un développement harmonieux de l’enfant grâce à la musique dite élémentaire et le mouvement. Non élitiste et ludique, elle s’adresse à tous, et non pas uniquement aux enfants. Elle se pratique en groupe et utilise un ensemble de petites percussions (xylophones, métallophones, etc.), appelé « instrumentarium Orff ». Cette pédagogie utilise comme support des œuvres du répertoire traditionnel de toutes les cultures tout en favorisant la création et l’improvisation. Le chant, la danse, le mouvement, le théâtre, les percussions corporelles… y trouvent une place toute aussi importante que la technique instrumentale et musicale.
La pédagogie musicale Willems s’appuie sur quelques principes fondamentaux :
- L’éducation musicale doit être un moyen de favoriser l’épanouissement de l’être humain. Tout enfant, doué ou non, doit pouvoir profiter de cet « élément culturel de premier ordre» qu’est la musique.
- Les débuts sont de toute première importance : « Une fois les débuts bien établis, le reste suit logiquement, selon les lois de la vie». L’initiation musicale s’appuie sur la participation active des élèves, autour de chansons, d’exercices d’audition, de rythmes et de mouvements corporels, pendant deux ou trois années, avant d’entamer véritablement l’étude du solfège et de l’instrument.
- La pratique doit précéder la transmission des connaissances formelles et théoriques. Il convient donc de privilégier les sources de vie des éléments musicaux : rythme, mélodie, harmonie, improvisation, composition… Pour Willems, « La source de vie des éléments musicaux se trouve non dans la connaissance des enseignements scolaires, mais dans l’être humain», dans sa multiple nature, motrice, sensorielle, affective et mentale — c’est-à-dire, l’être humain dans sa globalité, « en harmonie avec l’univers ».
« Par l’enseignement de l’art, favoriser l’épanouissement de la personne » (Ginette Martenot). La pédagogie musicale Martenot vise à développer les qualités sensibles, corporelles et intellectuelles de l’instrument humain :
- Les arts sont partie prenante de l’éducation.
- L’être est une globalité.
- Le sensible est un accès à l’intellect, (la pratique précède la théorie).
- La mémoire musculaire est indélébile.
- L’abord d’une difficulté à la fois facilite l’apprentissage.
- Être musicien c’est penser la musique.
- L’esprit ludique est une condition de la qualité de l’effort.
- L’apprentissage n’est jamais une position d’échec.
« En respectant à la fois un ordre, une structure ferme et la souplesse d’un climat de confiance et de joie, nous ouvrons les portes à l’improvisation et à la création : tout devient possible » (M. Martenot).
La pédagogie musicale Dalcroze insiste sur les liens naturels entre le mouvement corporel et le mouvement musical. C’est donc en passant par le corps que les facultés artistiques et musicales vont se développer naturellement, autour de trois piliers : la rythmique, le solfège et l’improvisation. La rythmique, par exemple, est abordée au travers de la stimulation de la motricité globale, la perception et la conscience corporelle. C’est le corps qui est considéré comme le premier instrument du musicien, celui qui lui permet en premier lieu de vivre et transmettre sa musicalité. De la même manière, les notions de solfège sont inscrites via un ancrage corporel, au travers d’exercices d’improvisation, de réaction, de coordination ou de dissociation. C’est le souvenir corporel qui servira de base à partir de laquelle l’élève pourra relier l’expérience vécue à un concept solfégique théorique.
La pédagogie musicale Kodaly (qui n’est pas à proprement parler, issue de Kodaly, mais qui a été développée par la suite) a marqué fortement la culture scolaire hongroise : la musique tient aujourd’hui une part importante dans le cursus général des écoles primaires du pays. Kodaly insistait à juste raison sur l’importance de la musique dans la formation générale : en aucun cas la pratique musicale ne doit être « réservée » à un petit nombre d’enfants « doués pour la musique ». Le chant (avec un intérêt tout particulier pour le chant « folklorique » ou traditionnel) est considéré comme la porte d’entrée vers la musique – il permet de percevoir la musique sans le « medium » de l’instrument. Il préconise par ailleurs une initiation musicale le plus jeune possible. L’apprentissage de la musique passe d’abord par l’écoute, le chant et le mouvement avant d’aller vers la théorie. Sur le plan rythmique la pédagogie Kodaly s’inspire notamment des apports de Dalcroze.
Il est important de reconnaître l’apport significatif des méthodes actives dans la dynamique de la pédagogie musicale en France notamment. On ne peut pas opposer « méthodes traditionnelles » enseignées par exemple dans les conservatoires et écoles de musique, et les « méthodes actives » qui feraient l’objet d’un « enseignement parallèle » : indépendamment des noms, revendications et positionnements théoriques, chaque professeur de formation musicale pratique un enseignement qui s’inspire des différentes techniques pédagogiques.
Les méthodes actives partagent un certain nombre de piliers fondamentaux :
- Une approche « globale » de l’enfant (plus largement, de l’apprenant) et de la musique, dans l’ensemble de ses dimensions (corporelles, intellectuelles, psychiques, culturelles, collectives, …) ;
- Une dynamique pédagogique qui part de l’expérience, du sensible, et qui amène progressivement vers les notions théoriques ;
- L’importance du développement des capacités « d’écoute intérieure », de création et d’improvisation ;
- La place importante accordée au chant ;
- La dimension collective, ouverte à tous, de l’apprentissage de la musique ;
- Le jeu comme dynamique de l’apprentissage (ce qui n’est pas antinomique d’un réel programme d’apprentissage, définis en fonction d’objectifs pédagogiques précis).
TEMPO se retrouve dans ces grands principes, mais ne se revendique d’aucune des méthodes actives en particulier. Nous valorisons, chez nos professeurs, la diversité et la richesse des parcours, les qualités pédagogiques et humaines individuelles. Parmi les 70 professeurs de l’équipe TEMPO, plusieurs ont suivi, soit lors de leur formation initiale, soit en formation continue ou stages, des formations aux différentes pédagogies actives de la musique : Martenot, Orff, Dalcroze, Kodaly, Marie Jaëll, Montessori, Willems, … Il est intéressant de noter que de nombreux professeurs sont allés se former auprès de plusieurs de ces sources pédagogiques. C’est sans doute la clef d’une bonne approche pédagogique : ne jamais se laisser « enfermer » dans une méthode ou une école de pensée, mais savoir trouver les bonnes inspirations parmi la diversité de ce qui est proposé. Chaque professeur doit savoir déceler les « pépites » des différentes approches pédagogiques, et pouvoir les réinterpréter et les intégrer dans une approche personnelle. Le talent réel du pédagogue, c’est de trouver, pour chaque apprenant, quelle est le chemin d’apprentissage qui convient à son élève.